TOME 2, CHAPITRE 1!


premier jet, pour vous faire patienter.

bonne lecture.

                   Chapitre 1

LA DOULEUR DES SOUVENIRS

Depuis le tremblement de terre qui a dévasté San Francisco, la Californie et leurs vies, Léa et Drarion avaient su faire preuve d’un courage impressionnant et d’une volonté de fer pour accepter leurs destinées et s’adapter dans ce monde qui les avait vu naitre mais dans lequel ils n’avaient pas grandi. Comment feriez vous? Quelle serait votre réaction si vous appreniez que tout ce que vous avez toujours connu, tout ce qui berce votre quotidien, n’était en fait que la face cachée d’une réalité que nos vies d’aveugles ne nous autorisent pas à admettre?        C’est ce qui leur est arrivé. Leur retour à Sgathân et la découverte de tous ces pouvoirs qui sommeillaient en eux depuis leur naissance, sans parler de toutes ces créatures avec lesquelles ils se sont liés d’amitié pour certaines et sauvagement combattus pour d’autres, c’est autant d’épreuves qu’ils ont déjà dû affronter. Depuis leur dernière bataille au cours de laquelle Léa et ses compagnons de l’élite ont affronté Gabriel, le seigneur des Déusumbraé, et son armée de Hurgals, alors qu’ils volaient au secours de Drarion, prisonnier de son ténébreux géniteur, leurs liens à tous se sont resserrés et sont désormais plus fort que jamais. Mais rien n’est joué, il leur faut encore terminer leur formation et regagner la confiance des gardiens des quatre tours pour espérer récupérer les quatre fragments du cœur d’Habask. Une fois reconstitué, le joyau rétablira l’ordre et l’harmonie dans leur monde mais aussi dans le nôtre.

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Malgré les bons soins des Bihan-Avel, Drarion n’était pas très en forme lorsqu’il se réveilla, son corps n’avait pas encore éliminé tout le poison que son père, Gabriel, lui avait fait avaler de force le soir du solstice. Sans parler des multiples contusions, résultat de son duel contre Léa dont il n’avait aucun souvenir, si ce n’est les courbatures qui le rappelaient à l’ordre.

Il était malgré tout heureux d’être de retour, d’avoir retrouvé ses amis et se réjouissait de constater que Jubanis était restée à son chevet toute la nuit. Il la regarda un long moment, qui dormait sur un gros coussin à côté de son lit, recroquevillée sur elle-même. Il aimait les légers reflets roux qui brillaient dans ses cheveux. S’il n’avait pas su qu’elle était une « Verch’bleiz » et qu’elle chassait les soirs de lune, il l’aurait certainement comparée à un ange.

Il se leva le plus discrètement possible pour ne pas la réveiller, la tête lui tournait. Après quelques instants immobile pour trouver son équilibre, il se dirigea sur la pointe des pieds vers la salle de bain. Quel bonheur ce fut pour Drarion de retrouver sa lagune d’eau fumante et l’apaisante musique de la cascade ! Les idées encore confuses et le teint nauséeux, tenant tant bien que mal sur ses jambes, il pensa que quelques brasses lui feraient le plus grand bien.

Tout en se dévêtissant, il se remémora tout ce qu’il avait vécu depuis de tremblement de terre qui avait détruit la Californie. Leur arrivée à Sgathân et ces terribles révélations quant à leurs origines et leurs destinées prophétisées. Au fond de lui subsistait le doute que ceci soit bien réel.

Drarion se laissa glisser dans l’eau et se souvint de son premier bain de purification. Les yeux fermés, il se laissa bercer par le doux clapotis de l’eau brassée par les remous de la cascade qui propageait une bruine mystérieuse qui dansait autour de lui. Après quelques instants au contact de l’eau, le rituel de purification lui revint en mémoire, il saisit un sac de sel posé sur la roche poreuse, en prit une pleine poignée et la jeta en dessinant un grand cercle autour de lui, envoyant valser une pluie de sel dans l’eau claire de la lagune qui s’illumina presque instantanément.

Il saisit ensuite l’anse de la jarre qui contenait l’huile à l’énivrant parfum de cannelle et de bois de santal et la déversa tout autour de lui.

– Purifie-moi ! demanda-t-il par trois fois à haute voix avant de s’immerger totalement.

Comme lors de son premier rituel le soir de son engagement, un nuage sombre, comme une encre noire, s’évapora de son corps par les pores de sa peau. Des centaines d’images, ressurgirent telles des flashes : son premier combat contre les Swart Alpar avec cette terrible sensation lorsque que l’un d’eux s’empala sur son épée, sa rencontre avec son père, la mort de Gwad dévoré par le dragon du lac, tous ces souvenirs qui polluaient son âme et affectaient ses capacités à positiver.

Totalement immergé, Drarion ressentait tous les bienfaits de l’eau qui le libérait de toutes ses épreuves lourdes de conséquences et du reste du poison qui coulait encore dans ses veines.

Dans un état méditatif, il se délectait de cette délivrance, tout ses sens étaient alors en éveil dans une totale plénitude en harmonie avec l’élément Eau jusqu’à ce qu’un bruit sourd sous l’eau ne le perturbe et le ramène à l’instant présent. Quelque chose ou quelqu’un le saisit par la nuque et le remonta à la surface, l’extirpant brutalement de son rituel de guérison.

– Drarion, est-ce-que tu vas bien ? Le secoua Jubanis qui avait plongé toute habillée.

– Bien sûr que ça va ! Tu es folle, tu m’as fait une peur bleue.

– Je croyais que tu étais en train de te noyer !

– Mais non, je mettais en pratique ce que tu m’as appris le soir de mon engagement.

– Quoi donc ? Lui demanda Jubanis, un peu surprise.

– Ne faire qu’un avec l’élément eau, demander à être purifié.

– Cela demande énormément de pratique Drarion, lui sourit Jubanis, tu ne peux pas y arriver seul du premier coup, surtout en ne l’ayant pratiqué qu’une seule fois.

Un peu vexé, Drarion sortit de l’eau brusquement et s’enroula dans un drap de bain.

– Et bien détrompe-toi ! ça a très bien fonctionné et je me sens en pleine forme.

Jubanis était troublée de l’avoir vu ainsi dénudé sortir de l’eau. Comment avait-il pu changer à ce point ? Se demanda-t-elle, forcée de constater que Drarion était en parfaite santé, car plus une trace du sombre sort de Gabriel ne subsistait dans son regard. Comment cela était-il possible ? Les Maîtres de l’Art les plus aguerris eux-mêmes se faisaient assister la plupart du temps pour accomplir un tel rituel.

– Excuse-moi, Drarion, je ne voulais pas t’offenser, je suis juste surprise, voilà tout, mais je suis heureuse de voir que cela a fonctionné.

– Comment peux-tu en être aussi sûre ? Qu’est-ce qui te fait dire que cela a fonctionné ? Lui demanda-t-il sèchement.

– Tu as retrouvé ton foutu caractère, voilà tout…

Drarion lui tendit une serviette alors qu’elle sortait de l’eau. Le regard maladroit lorsque ses vêtements trempés lui collèrent à la peau, il lui sourit et lui replaça une mèche de cheveux ruisselante qu’il glissa derrière son oreille.

– Sèche-toi et allons déjeuner, j’ai hâte de revoir tout le monde.

Quelque chose en lui avait changé mais Jubanis n’arrivait pas savoir quoi exactement. Du haut de ses treize jeunes années, il paraissait beaucoup plus mature. Peut-être était-ce à cause de cette étincelle qui brillait dans ses yeux lorsque leurs regards se croisaient ou de toutes ces épreuves dernièrement vécues qui l’avaient obligé à grandir plus vite, trop peut-être, mais elle trouva cette métamorphose positivement troublante.

Toute l’élite déjeunait tranquillement, bien installée sur de gros coussins dans un presque silence que Drarion et Jubanis brisèrent dès leur entrée.

Quelle joie cela fut pour Léa et Satine qui lui sautèrent au cou pour l’accueillir sous les protestations des trois Bihan-Avel qui virevoltaient autour de lui sans réussir à se frayer un chemin pour pouvoir l’examiner de plus près. Mikkä, Nolan, Rus’och et la sœur de Jubanis se levèrent à leur tour pour le saluer et lui faire savoir à quel point ils étaient heureux de le revoir parmi eux en si bonne forme.

– Comment est-ce possible ? Maugréa un Bihan-Avel

Léa et Satine le fixèrent, surprises et quelque peu choquées par son ton.

– De quoi parles-tu ? L’interrogea Satine.

– Il est frais comme un gardon, regardez-le, comme si le poison avait miraculeusement disparu. Nos potions sont puissantes, j’en conviens, mais tout de même, pas à ce point-là.

– J’ai fait le rituel de purification, lui répondit Drarion.

– C’est vrai ! Ajouta Jubanis, il l’a fait tout seul. J’étais présente mais je ne suis pas intervenue, assura-t-elle.

Satine le félicita, bien qu’un peu surprise, sachant qu’elle-même n’y arrivait pas seule et Mikkä commença à raconter à Drarion tout ce qui s’était passé depuis son enlèvement par Lord Wallamzen pour le compte de son père Gabriel, seigneur des Déusumbraé, mais il évita de lui parler de sa complicité avec Nolan. Mïkka ne savait pas comment lui annoncer, il craignait sa réaction et par dessus tout, son rejet. Comment lui dire sans risquer de briser leur amitié ? Tous y allaient de leur petite anecdote et Drarion en fit de même, n’épargnant aucun détail sur ce qu’il avait vu et vécu pendant sa captivité. Le déjeuner s’éternisa une grande partie de la journée.

– Où est Tan ? demanda soudainement Drarion, un peu honteux de n’avoir pas demandé plus tôt.

– Il a accompagné Gwénaël, ils font le tour du village pour s’assurer que plus un Hurgals ne rôde. Il ne pensait pas que tu te rétablirais aussi vite, tout comme nous d’ailleurs, il a vraiment souffert de ton absence et s’est fait énormément de soucis pour toi sans parler de la culpabilité qui le ronge, il s’en veut tellement de ne pas t’avoir rappelé de porter ta fiole autour du cou ce fameux jour.

– J’ai hâte qu’ils rentrent tous les deux. Tan n’a pas à s’en vouloir, il n’y est pour rien, je lui expliquerai, je suis le seul fautif, je n’avais pas à l’enlever, Laïloken m’avait pourtant bien mis en garde.

Tous continuèrent d’évoquer leurs prouesses et déboires jusqu’à ce que Léa jette un froid en questionnant Satine, soulevant ainsi un point important sur lequel elle attendait une réponse.

– Dis-moi, Satine !

– Oui, Léa

– Il y a une question qui me trotte dans la tête depuis un bout de temps déjà.

– Je t’écoute.

– Je pense qu’après tout ce que nous avons vécu tous ensemble, il serait temps que tu nous parles de ton mystérieux indic.

– De quoi parles-tu ? Rougit Satine sous le regard interrogateur des autres membres de l’élite.

– Eh bien, Nokké, le gardien des eaux, t’informe toujours TOI, de ce qui se trame au sein de la forteresse noire et qui nous touche de près ou de loin, et tu nous parles toujours d’une source que tu dois taire. Je pense donc que nous sommes en droit de savoir d’où et de qui, toi et Nokké, tenez vos informations ? Qui est ce mystérieux informateur ?

– Cette mystérieuse informatrice ! La coupa soudainement Satine, attristée et blafarde, comme si la question de Léa l’obligeait à revivre de douloureux souvenirs. C’est une longue histoire, continua Satine, mais je pense que tu as raison, il est grand temps que je vous la conte.

Tous s’inquiétèrent mais prêtèrent la plus grande attention à Satine, sur le point de leur dévoiler ce secret qui semblait la meurtrir.

– Je ne sais par où commencer, cela remonte à tellement longtemps.

– Prends ton temps, Satine, l’encouragea Nolan tout en se blottissant machinalement contre Mïkka le plus naturellement du monde.

– Je crois que j’ai loupé un épisode, s’estomaqua Drarion en dévisageant ses deux amis.

Un silence malsain et oppressant s’empara de l’élite, tous se questionnaient du regard, se demandant lequel d’entre eux lui expliquerait.

– On t’expliquera plus tard, lui dit Léa en fronçant les sourcils. Elle le fusilla du regard, sûrement pour lui faire comprendre d’attendre afin de ne pas rendre la tâche plus dure à Satine mais aussi pour ne pas embarrasser Nolan et Mïkka dont le visage avait viré au rouge pivoine.

L’elfe se redressa maladroitement et serra discrètement la main de son chevalier qui releva la tête pour mieux prêter attention à Satine en prenant grand soin de ne pas croiser le regard de son ami Drarion qui n’en revenait toujours pas.

  • Eh bien voilà ! reprit Satine. Lorsque je n’étais qu’une enfant, mes parents qui étaient eux aussi des Maîtres de l’Art réussissaient toujours, et ce malgré leurs obligations qui accaparaient les trois quarts de leur temps, à nous accorder du temps à ma sœur et moi, des instants privilégiés mais trop rares malheureusement.

– Ta sœur ? S’étouffa Léa.

– Oui, ma sœur, Esther, de deux ans ma cadette. Aussi loin que mes souvenirs remontent, nos parents avaient déjà commencé notre initiation et nous nous régalions de tous ces moments ensemble à jouer avec les pierres pour essayer de capter leurs vibrations ou bien les herbes que nous récoltions pour nous exercer aux rituels de base. Je me souviens comme si c’était hier de ce jour où Esther a réussi à faire léviter une petite roche, nos parents étaient tellement fiers. Régulièrement ils devaient s’absenter pour leur mission, plusieurs jours parfois, et c’est Elvène, une jeune fille de la cour, qui prenait soin de nous pendant ce temps.

Drarion se redressa subitement à l’annonce de ce prénom, cessant ainsi de dévisager Nolan et Mikkä qui tentaient par tous les moyens de paraître le plus naturels possible.

– Oui, Drarion, Elvène ta mère, qui à l’époque était déjà éperdument amoureuse de ton père qui l’aimait profondément en retour.

Drarion eut du mal à croire que son père fût un jour capable d’éprouver un tel sentiment pour qui que ce soit. Il fixa Satine dans les yeux, sans dire un mot, impatient d’en apprendre plus.

– Ce jour-là, nos parents furent envoyés en mission au Béthor pour rétablir l’ordre. Comme vous le savez tous, c’est le repère des Elfes bannis, les Swart-Alpar, et ils en ont fait leur territoire mais il arrivait très souvent qu’ils en franchissent les limites pour faire quelques dégâts dans les villages alentour, sans parler des victimes qu’ils trainaient comme des trophées avant de les stocker à la vue de tous dans les murs de leurs prisons de glace. Lors de cette mission, nos parents avaient été mal informés et leur nombre était bien supérieur à ce qui leur avait été annoncé, ils ont alors uni leurs pouvoirs et leurs savoirs pour jeter un sort de défense qu’ils ne maîtrisaient pas à la perfection et leur magie se retourna contre eux et les tua sur le coup. Nous nous sommes retrouvées orphelines Esther et moi, seules et livrées à nous-mêmes. J’ai eu la chance de naître la première et grâce à mon initiation déjà bien avancée, Neimus demanda à être mon tuteur et fit de moi son élève et sa protégée, quant à ma sœur, trop jeune à l’époque elle fut confiée à Elvène qui s’occupa d’elle et veilla sur elle telle une grande sœur. Malgré la disparition de nos parents et notre profonde tristesse, nous avions cette chance de pouvoir continuer à grandir proche l’une de l’autre mais ce fut de courte durée. Sans que personne n’en connaisse les raisons, ton père Léa, le roi Ethann chassa Gabriel, son propre frère, du palais et le condamna à l’exil. Comme vous vous en doutez, Elvène ne put se résoudre à le voir partir, leur amour l’un pour l’autre était si fort qu’elle décida de le suivre et ils emmenèrent avec eux ma jeune sœur. La dernière image que j’ai d’Esther est celle d’une fillette qui hurle en me tendant les bras, me suppliant de ne pas l’abandonner. Ce n’est que plusieurs années plus tard que j’ai appris le calvaire qu’elles avaient vécu durant leur exil aux côtés de Gabriel. C’est mon fidèle ami, Nokké, qui m’informa qu’il avait retrouvé Esther par hasard et qu’elle était toujours la protégée d’Elvène au cœur de la forteresse noire. Il était heureux de m’apprendre que pour son treizième anniversaire elle avait choisi la lumière. Sachant dans quel univers sombre elle évoluait quotidiennement, ce fut un soulagement. Durant de nombreuses années j’ai tenté de lui faire entendre raison pour qu’elle fuie Gabriel, qui était devenu le maître des Déusumbraé et qu’elle me rejoigne, mais son cœur ne pouvait se résoudre à abandonner celle qui avait pris soin d’elle telle une mère ou une grande sœur. Dans ses lettres qu’elle me faisait parvenir en cachette grâce à Nokké, elle me racontait souvent à quel point Elvène était douce, aimante et attentionnée envers elle. Certes elle regrettait notre séparation et sa plus grande déception était de n’avoir pu suivre le chemin de nos parents et devenir à son tour Maître de l’Art, mais elle se disait heureuse. Puis vint le jour du grand massacre, et c’est Esther qui aida Neimus à t’enlever Drarion, dans le seul but de te protéger. Depuis ce jour, elle jura de tendre l’oreille à tout ce qui pourrait se dire ou se comploter à l’intérieur de la forteresse et de m’en informer. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je ne craigne pour sa sécurité.

L’élite autour de Satine resta sans voix, personne ne sut que dire.

– Je ne me souviens pas l’avoir vue durant ma captivité à la forteresse, lui annonça gravement Drarion.

– Pourquoi n’as-tu rien dit lorsque nous y étions pour secourir D’Arion ? lui demanda Léa stupéfaite.

– Simplement parce que notre mission était primordiale, il y a des moments dans la vie où nous sommes confrontés à des choix et des sacrifices. Il faut voir le schéma dans son ensemble et à long terme. L’évasion de Drarion était plus importante pour notre avenir à tous et celui de notre monde que la vie de ma propre sœur, car sans lui la prophétie ne serait plus. Il y a des choses que l’on contrôle et d’autres pas, c’est ainsi, il faut juste en accepter les règles aussi dures soient-elles.

– Nous la ramènerons, lui promit Léa, tu peux compter sur nous.

Drarion resta silencieux, le regard perdu dans ses souvenirs, il revoyait sa mère endormie, belle et paisible, heureux d’apprendre qu’elle fût quelqu’un de bien et de bon, contrairement à son père, et cela le rassurait. Lui qui pensait avoir hérité des gènes de Gabriel, il se dit qu’après tout il tenait certainement plus de sa mère, mais tout ceci le perturbait et lui torturait l’esprit à force d’échafauder des hypothèses invérifiables sur ce qu’aurait pu être sa vie s’il avait grandi à leurs côtés.

Tout le monde fixait Drarion dont le regard perdu exprimait un mélange d’émotions et de sentiments incompréhensibles, ne sachant que faire pour l’arracher à ses pensées qui semblaient le déchirer de l’intérieur. Heureusement, Tan et Gwénaël, enfin de retour, lui sautèrent sur les genoux et l’extirpèrent du gouffre émotionnel dans lequel il s’enfonçait peu à peu.

Après une belle journée de retrouvailles, un à un, ils se levèrent pour gagner leur chambre respective mais Drarion demanda à Satine et Léa de rester lui tenir compagnie un peu plus longtemps, prétextant ne pas avoir sommeil. Il souhaita une bonne nuit à tous les autres tout en dévisageant Nolan et Mïkka jusqu’à ce qu’ils aient quitté la pièce.

– Qu’est ce qui ce passe ici, leur demanda-t-il, à quoi ils jouent ces deux-là ?

– Écoute-nous et calme-toi ! Lui demanda Léa, choquée par l’expression de dégoût sur son visage.

– Oui, je vous écoute, je peux savoir par quel sortilège ils ont été frappés ?

– Il ne s’agît pas d’un sortilège, lui dit Satine, mais de la plus belle des magies qu’il soit, celle de l’amour.

– Je ne comprends pas, essaierais-tu de me dire que Mikka et Nolan sont…

– Oui, Drarion, et ça n’a pas été facile pour eux non plus d’accepter leurs sentiments.

– Bah, je veux bien te croire, si un truc pareil m’arrivait, j’irais vite me faire soigner, ironisa Drarion, n’y a-t-il rien que les Bihan-Avel puissent faire pour eux ?

– Pourquoi veux-tu qu’ils se fassent soigner ? Lui demanda sèchement Léa.

– Parce que ce n’est pas normal !

– Qu’est-ce qui n’est pas normal, Drarion ? L’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre ou ta réaction débile ? S’énerva Satine.

– Je …. Drarion se sentit à court d’arguments, Satine venait de toucher un point sensible. Que devait-il penser ? Toute son enfance les sœurs de l’orphelinat lui avaient enseigné les principes fondamentaux de la vie, que l’amour ne pouvait exister uniquement qu’entre un homme et une femme et rien d’autre. Que tout ce qui allait à l’encontre de ces idéaux étaient mal et sale.

– Comme je vous l’ai expliqué un peu plus tôt, il y a des choses que l’on contrôle et d’autres pas, celle-ci en fait partie. On ne choisit pas son âme sœur et on ne contrôle pas non plus l’amour, contrairement à la haine et au mépris que l’on cultive de l’intérieur. Tu as le droit de ne pas trouver ça normal, bien que je ne voie pas où se situe le problème, tu as même le droit d’être contre, c’est ton choix. Mais en aucun cas tu n’as le droit de juger ou même de condamner. Nolan a dû faire preuve d’un extrême courage tout comme Mïkka, ils ont tous les deux assez de mal comme ça à accepter et assumer sans que tu viennes en rajouter. Nolan risque gros, car les lois de son clan sont aussi intolérantes que ton esprit et Mïkka n’a pas besoin que tu le blâmes, le rejettes ou le méprises pour ce qu’il éprouve. Si tu étais réellement son ami, tu accepterais sans même le juger, car il est le même que celui que tu as connu avant ton enlèvement.

Drarion ne savait plus où se mettre, il aurait voulu se cacher dans un trou car il savait très bien que Satine avait raison.

– Je suis désolé, mais vous auriez pu me prévenir, j’aurais eu l’air moins bête. Comment je vais faire maintenant ? Ils doivent m’en vouloir.

– Si tu acceptes le fait qu’ils s’aiment et que tu te réjouis pour eux, alors dis-leur, sinon ne dis rien mais respecte-les tous les deux pour ce qu’ils sont : des êtres à part entière. Par contre si de les voir côte à côte te gène, et bien TOURNE LA TÊTE ! Finit-elle par s’énerver.

– Pardonnez-moi toutes les deux, je ne me rendais pas compte. À bien y penser, même si je trouve ça bizarre, je suis content pour eux. Je m’y ferai, il faut juste que je m’y habitue. Je pense en fait que j’aurais aimé que Nolan m’en parle lui-même, je suis son ami après tout.

– C’est certainement parce que tu es son ami que c’était encore plus dur pour lui mais peut-être aussi parce que tu ne lui en as pas laissé l’occasion, ajouta Léa.

– Merci de m’avoir ouvert les yeux.

– C’est normal, Drarion, mais retiens bien cette leçon, lui sourit Satine, elle te servira à de nombreuses reprises dans ta vie et dans un tas d’autres situations.

– C’est promis ! Assura-t-il avant de leur souhaiter une bonne nuit.

Délicatement et pour ne pas le réveiller, il prit Tan qui c’était endormi au côté de Gwénaël et regagna sa chambre.

Tout le monde s’endormit paisiblement, bien en sécurité dans les entrailles de l’arbre géant qui imposait sa force au bout du village en ruine que la lune éclairait de ses doux rayons. Mais à quelques lieues de là, au cœur de la baie, il en était tout autrement. Gabriel ne dormait plus depuis le soir du solstice, et il n’autorisait personne à fermer l’oeil tant que la partie détruite de sa forteresse ne serait pas rebâtie. S’agitant comme dans une fourmilière, les mini-trolls et les Hurgals s’activaient à la tâche pour déplacer les gros blocs d’onyx qui s’étaient effondrés sous l’onde de choc lorsque Nolan avait joué de son sceptre tortueux faisant voler en éclats la salle de réception où la bataille avait eu lieu le jour où ils prirent d’assaut la forteresse noire pour secourir Drarion. Sous le regard de leur maître, les tailleurs de pierres martelaient avec une extrême précision chaque morceau d’onyx, projetant une gerbe d’étincelles multicolores à chaque coup de maillet.

Planté au beau milieu des décombres, Gabriel fixait sévèrement la lune avec une myriade de pensées aussi sombres les unes que les autres. Ce qui le perturbait le plus alors qu’il se remémorait chaque instant de l’affrontement, c’était l’absence de Lord Wallamzen.

– Où était ce crétin de Wallamzen ? Se demandait-il

Il attrapa violemment un minitroll par la tignasse et le décolla du sol jusqu’à ce que son regard démoniaque soit à la hauteur de celui de la petite créature terrorisée.

– Où est Wallamzen ? Ragea Gabriel.

– Je ne sais pas Maître, se débattit la créature. Personne ne la revu depuis que vous avez fait redécorer la forteresse.

– De quoi tu parles ?

– Tous ces efforts pour redonner un semblant d’humanité à ces lieux si lugubres dans l’espoir d’amadouer votre fils que vous reteniez prisonnier grâce à un de vos puissants sortilèges. Tout cela n’était pas du goût du Lord. D’après ses dires, il voyait là une faiblesse de votre part.

– Et ?

– Et, depuis ce jour personne ne l’a revu.

Gabriel lâcha le minitroll qui s’écrasa en gémissant avant de déguerpir sans demander son reste.

– Qu’est-ce que ce bon à rien mijote encore ? se demanda Gabriel, et dans un rugissement effrayant qu’il fit surgir du plus profond de son être, il ordonna que tout soit remis en état au plus vite.

La haine, la rage et la soif de vengeance le maintenaient dans une souffrance intérieure qu’aucun remède ne saurait guérir ou même soulager, si ce n’est son épouse Elvène, car bien que toujours plongée dans un profond sommeil, le simple fait de la voir ou de lui parler, suffisait à l’apaiser.

– Bonjour Esther, chuchota Gabriel, en entrant dans la chambre de son épouse.

– Bonjour Gabriel, lui répondit la jeune femme tout en continuant à brosser les longs cheveux de celle qui l’avait recueillie.

– Je vais prendre la relève, va te reposer, lui dit-il gentiment.

– Très bien, je reviendrai plus tard.

Avant de quitter la pièce, Esther s’attarda quelques instants. Elle avait de la peine pour Gabriel qu’elle observait tandis qu’il caressait le visage de sa femme, il avait pris sa main qu’il passait amoureusement sur sa joue. Esther était contre ses agissements et elle condamnait la moindre de ses actions, mais elle le savait capable d’autre chose que de cruautés. Jamais il n’avait eu à son égard la moindre agressivité, il avait d’ailleurs continué à prendre soin d’elle tout comme le faisait sa femme avant cette tragédie, elle le croyait encore capable de changer.

– Gabriel ?

– Oui, Esther, s’étonna-t-il de la voir encore dans la chambre.

– Quand tout cela va-t-il s’arrêter ?

– Je n’en sais rien, lui répondit Gabriel résigné.

– Comment tout ceci est-il arrivé ?

– Cela n’arrivera plus, je te le promets, je ferai renforcer les sentinelles.

– Je ne te parle pas de ça.

– De quoi, alors ?

– Vous ne m’avez jamais expliqué, Elvène et toi, ce qui s’est réellement passé à Faralonn ainsi que les raisons qui ont poussé Ethan à te chasser.

– Ça n’a plus aucune importance aujourd’hui, s’attrista soudainement Gabriel.

– Si ! Cela en a, car dans mes souvenirs de fillette, tu n’étais pas comme ça. Et malgré tout ce qui s’est passé, tu as toujours veillé sur moi et fait preuve de bonté et de générosité. Alors ne me dit pas que tu as voué ton âme aux ténèbres, je ne te croirai pas.

Submergé par de douloureux et lointains souvenirs, Gabriel la fixait sans dire un mot.

– Assieds-toi, finit-il par lui demander.

Elvène était la seule à connaître la vérité et à savoir qui il était vraiment. Jamais Gabriel ne s’était confié à qui que ce soit mais il consentit à tout lui raconter, car, à cette heure, plus rien n’avait d’importance à ses yeux, encore moins ce qu’il était devenu.

– Tu as raison, je n’ai pas toujours été ainsi. Comme tu le sais, j’étais le cadet d’Ethann, et j’ai toujours grandi dans l’insouciance des lourdes responsabilités que mon frère était destiné à devoir assumer un jour. Je passais mon temps à flâner dans les bois, je m’amusais de mes dons, toujours à titiller les quatre éléments pour mieux contenir leurs pouvoirs et leurs forces. Je dessinais, je peignais et j’aimais la musique et ce côté de ma personnalité émerveillait mes parents. Le jour de mon treizième anniversaire j’ai même choisi la lumière, comme quoi vois-tu, rien n’est acquis.

– Et Ethann ? L’interrompit Esther.

– Le jour de ses treize ans, il partit très tôt ce matin-là, soit disant pour une randonnée à cheval et ne réapparut que le lendemain. Il nous a dit s’être égaré mais jura à mes parents qu’il avait choisit la lumière. Ce fut tout de même une inconsolable déception pour notre père qui avait organisé une somptueuse cérémonie pour son anniversaire. Je me souviens à quel point il était fier à l’arrivée de ce jour, pour le rituel de passage de son premier fils. Les années passaient et nous continuions nos allers et retours entre Tanaël et Faralonn pour notre formation durant laquelle Ethann c’était rapproché de Zoà qui en fit son petit protégé, mais peu importe. Puis un jour, en rentrant à Faralonn pour les congés du grand solstice d’été, je l’ai croisée dans la cour du palais, son regard, son sourire et son parfum, elle était plus belle que toutes les déesses.

– Tu veux parler d’Elvène ?

– C’est ça, nous étions jeunes et nous sommes très rapidement devenus inséparables. Mes parents l’adoraient et projetaient déjà de nous marier, mais mon adorable frère n’était pas du même avis. J’ai, ce jour-là, décelé chez lui une certaine jalousie et les choses on commencé à changer. Il n’était plus le grand frère que j’avais connu, trop d’évènements étranges se sont alors produits. Je n’oublierai jamais ce jour où j’ai trouvé mon père en larmes, penché sur le petit corps sans vie de son Nagual et du regard enjoué de mon frère devant ce triste spectacle, personne n’a jamais su ce qui lui était arrivé, Neimus lui même ne l’expliqua pas. Plus nos parents m’accordaient de l’attention, plus leurs malheurs s’accumulaient. Ethann faisait tout pour attirer leur attention et se faire remarquer, mais notre père ne voyait en lui que son successeur et exigeait de sa part l’excellence. J’étais conscient que mon frère en souffrait mais je n’y pouvais rien et tout ce qui occupait mon esprit à cette époque, c’était vivre, rire, peindre, chanter mais par-dessus tout, achever ma formation au plus vite pour enfin me marier avec Elvène. Un soir j’ai surpris mes parents en pleine conversation, ils planifiaient en secret notre mariage et mon père disait à quel point il était fier de moi. Mais leur discussion prit subitement une étrange tournure. Tous les deux commençaient à faire des comparaisons entre Ethann et moi, mon père faisait remarquer à notre mère comment j’avais réussi à me faire aimer de tous au contraire de mon frère qui, avaient-ils eu vent, commençait à se faire des ennemis en Tanaël mais aussi à Faralonn. J’avais dix-huit ans et mon frère à peine vingt, il était encore trop tôt pour parler de succession, mais notre père ne voyait pas les choses du même œil et ce soir-là, il confia à notre mère qu’à son avis je ferais un bien meilleur souverain qu’Ethann. Bien sûr, j’étais heureux de voir et de constater toute l’estime et la confiance de mes parents, et oui, j’aurais fait un bien meilleur roi que lui, je me surprenais même à jalouser ce qui lui revenait de droit. Sous ses airs de bon prince, à l’époque déjà, il ne vivait que pour ça, la couronne et le pouvoir.

– Mais que s’est-il passé pour qu’il en soit autrement ?

– Je pense que ce soir-là, je n’étais pas le seul à espionner, et le lendemain matin, un garde a retrouvé les corps sans vie de nos parents. Il n’y avait pas de sang ni aucune trace de poison, Neimus en conclu qu’il s’agissait là d’une puissante magie noire, mais on ne découvrit jamais qui avait commis ces crimes ni pourquoi.

– C’est atroce, Gabriel, j’étais loin d’imaginer une telle chose…

– Tu ne pouvais pas savoir, tu étais bien trop jeune et après le couronnement d’Ethann, il interdit formellement à quiconque d’en reparler un jour. Je pense qu’avec les années tout le monde a fini par oublier, mais pas moi. Une fois sur le trône, mon cher frère annula la date de notre mariage prétextant que ce serait indécent si tôt après la disparition de nos parents.

– Mais, tout le monde semblait heureux à Faralonn, personne ne se plaignait dans le royaume, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai souvenir qu’on disait de lui qu’il était un bon souverain.

– Oui bien sûr, mais tout ceci n’était qu’une façade. Je n’ai jamais su ce qu’il préparait mais ce dont je suis certain c’est que j’étais celui qu’il voulait détruire. J’étais à ses yeux ce qu’il n’avait pas réussi à être à ceux de notre père.

– Et c’est pour cela qu’il t’a chassé ?

– Non, j’ai laissé quelques mois passer, tu n’étais qu’une fillette et Elvène m’apprit le triste sort de tes parents. Elle m’expliqua qu’elle avait accepté d’être ta tutrice, ce qui me réjouissait aussi. Je suis donc retourné voir mon frère pour qu’il nous accorde le mariage et ainsi former une vraie famille que nous rêvions déjà d’agrandir, mais il refusa. Il faisait tout pour me pourrir la vie. Ce jour-là fut la première fois où je me suis réellement mis en colère. Une colère que je n’ai pas réussi à contenir ni à contrôler et sans même le vouloir je lui ai déballé tout ce que j’avais sur le cœur ainsi que mes soupçons à son égard.

– Comment ça ? De quoi le soupçonnais tu ?

– Simplement qu’il n’y avait aucun témoin qui pouvait confirmer ce qui c’était passé le soir de son treizième anniversaire mais aussi de la mort tragique et si mystérieuse de nos parents, car j’étais persuadé qu’il les avait lui aussi espionnés et avait surpris leur conversation.

– Tu es en train de me dire qu’Ethann…

– C’est tout à fait ça. Il n’était pas le bon roi que tout le monde idolâtrait, et ce que je suis aujourd’hui, je le lui dois. C’est lui qui a fait de moi le monstre que je suis devenu, finit-il par se blâmer.

Esther le regarda tout à coup différemment. Elle compatissait et avait une immense peine pour lui. Rien ne pourrait jamais excuser ni effacer ses actes ignobles, mais elle lui accorda tout de même quelques circonstances atténuantes.

*******

De son côté, Satine ne parvint pas à trouver le sommeil cette nuit-là. Peut-être était-ce à cause des révélations faites à ses compagnons et qui faisaient remonter en elle tant de douloureux souvenirs. Au beau milieu de la nuit, elle se leva et ordonna à un garde de faire sceller son cheval, elle avait besoin de prendre l’air et décida de rendre visite à un vieil ami. Lorsqu’elle arriva au galop sur les berges du port de Minandas, Nokké l’y attendait déjà.

– J’avais pressenti ta venue, Satine, comment vas-tu ?

– Pas très fort, je l’avoue.

– Alors j’espère que les nouvelles que je t’apporte te rassureront et te remonteront le moral.

– Tu as des nouvelles d’Esther ? S’enthousiasma Satine qui retrouva son sourire.

– En effet, elle m’a remis cette longue lettre pour toi et te fait dire qu’elle va bien.

Nokké tendit le rouleau de parchemin à Satine qui s’empressa de le dérouler pour en commencer la lecture qu’elle mit plus d’une heure à lire tellement la lettre d’Esther était longue.

  • Que se passe-t-il, Satine ? Tu as l’air dépitée, s’inquiéta Nokké.
  • En effet, ce que me raconte ma sœur me laisse perplexe et sans voix. T’en a-t-elle fait part ?
  • Oui, très brièvement, acquiesça le gardien des eaux.
  • J’étais à des lieux de me douter d’une chose pareille, comment vais-je l’annoncer aux enfants ? Léa ne va pas s’en remettre.
  • Bien sûr qu’elle s’en remettra !
  • Je ne vois pas comment, depuis son retour nous mettons un point d’honneur sur l’honnêteté et la bonté de son père. Elle l’a mis sur un piédestal, par notre faute. Et voici qu’aujourd’hui nous apprenons qu’il est en fait la cause de tout ce chaos, comment est-ce possible ? se lamenta Satine.
  • Il y a du bon et du mauvais en chacun, personne n’est parfait, et ces quelques révélations tendent à nous ouvrir les yeux sur le côté sombre de feu notre bien-aimé roi Ethann.
  • Nous devons retourner à Tanaël pour que Léa et Drarion poursuivent leur formation. Ils ont déjà tellement de retard, il faut qu’ils conservent un moral d’acier et cette nouvelle va les anéantir. Mais peut-être devrais-je attendre avant de leur en parler ?
  • Tu feras ce que tu crois être le mieux dans leur intérêt, mais écoute les conseils d’un vieil ami. Tôt ou tard la vérité refait toujours surface, qu’elle soit bonne ou mauvaise. A toi de voir de quelle manière tu penses qu’il est préférable qu’ils l’apprennent.
  • Je comprends très bien ce que tu essaies de me dire, il faut juste que je trouve le bon moment pour leur annoncer.

Le soleil se levait sur la baie, Satine remonta à cheval et regagna le village où les Minandiens s’occupaient déjà à rebâtir leur village dévasté par les Hurgals puis elle demanda à ce qu’on réveille Léa et Drarion qu’elle rejoignit pour le petit déjeuner.

  • Pourquoi nous as-tu fait lever à l’aube ? lui demanda Drarion tout en baillant à s’en décrocher la mâchoire.
  • C’est vrai, ça ! Une ou deux heures de plus n’auraient rien changé, ajouta Léa tout aussi mal réveillée et ronchon.
  • Nous devons retourner à Tanaël pour votre formation.
  • Et ça ne pouvait pas attendre que le soleil ait fini de se lever ? bougonna Léa.
  • Cela aurait pu attendre, mais ce que je viens d’apprendre ne le pouvait pas et cela risque de vous retourner.
  • Après tout ce que nous avons vécu depuis le tremblement de terre à San Francisco, tu crois encore que quelque chose peut nous perturber ? L’interrogea Drarion.
  • Il a raison, et quoi que ce soit, cela pouvait bien attendre une ou deux heures de plus, renchérit Léa qui n’en démordait pas.

Satine déposa sur la table, la longue lettre que sa sœur lui avait fait parvenir, et sortit.

– Où vas-tu ? S’inquiéta Léa.

– Prenez le temps qu’il vous faudra et rejoignez-moi, je serai au village, je pourrai sûrement être utile en attendant notre départ.

– Tu ne veux pas nous la lire ?

– Non ! Nous en parlerons ensuite.

– Ce ne doit pas être des nouvelles très réjouissantes en déduisit Drarion lorsque Satine fut sortie.

Léa commença à dérouler le parchemin mais Drarion l’arrêta net.

  • S’il te plaît, Léa, finissons de déjeuner avant, je ne voudrais pas que ça nous coupe l’appétit.

Léa acquiesça et ils déjeunèrent en fixant le rouleau posé devant eux. Ils ne résistèrent pas longtemps et leur curiosité l’emporta sur leur appétit. Côte à côte, ils lurent la longue lettre d’Esther que Léa roula nerveusement une fois terminée.

– Je t’avais bien dit que ça nous couperait l’appétit.

– Tu avais raison, mais je me demande pourquoi Satine était dans tous ses états ?

– Elle a certainement cru que cela nous casserait le moral.

– C’est vrai que je suis déçue, avoua Léa, je m’étais fait une image glorieuse de ce père que je n’ai jamais connu et qui en fait ne vaut pas mieux que le tien.

– C’est clair, et ça nous fait encore un point commun.

– Ah oui ! Lequel ?

– On ne leur ressemble pas du tout, et nous ne sommes en rien responsables de leurs actes.

– Tu me surprends de plus en plus, Drarion, je n’aurais jamais cru un jour, entendre ces mots sortir de ta bouche. Tu devrais te faire enlever plus souvent.

– Ne te moques pas, c’est juste que je n’ai plus envie de me torturer l’esprit. Depuis que nous sommes ici, j’ai l’impression d’être plongé au cœur d’un terrible et interminable cauchemar.

– Tu exagères, le contredit Léa.

– Ta vie d’avant ne te manque pas à toi ? Eh bien moi elle me manque un peu plus chaque jour. Je me fous bien de ce trône ou bien même d’être un prince dans ce maudit monde. Je suis Drarion, orphelin de San Francisco et je me demande encore si tout ceci est bien réel ? Tout ce que je veux, c’est en terminer avec leur foutue prophétie et rentrer chez moi.

– Bien sûr que ma vie me manque, encore plus quand je repense à mes parents adoptifs, mais même si je rentre un jour chez nous, je ne les reverrai jamais. Parfois j’ai du mal à me souvenir de leurs visages, comme si le temps prenait le soin de les effacer de ma mémoire un peu plus chaque jour. Mais ici aussi je suis bien, en fait je crois que je ne sais pas trop où j’en suis. Tout ce qui est sûr c’est que nous sommes là et que tous comptent sur nous pour les sauver, alors en attendant de pouvoir avoir le choix de rentrer ou non, nous devons avancer.

– Tu as raison, comme d’habitude, mais je trouve tout de même ça dingue qu’ils remettent leurs vies et leurs destins entre les mains de deux ados comme nous. Ensuite ils voudraient nous faire gober que les adultes sont plus sages, plus matures et plus responsables ?

– Là, tu marques un point, rit Léa. Allez, il est temps de rejoindre Satine et de la rassurer, la pauvre doit se morfondre.

Lorsqu’ils l’eurent rejointe pour la rassurer, Satine n’en revint pas. Comment pouvaient-ils prendre une telle nouvelle avec autant de détachement et de discernement?

  • Alors, c’est tout ce que ça vous fait ? leur demanda-t-elle, surprise.
  • Nous n’irons pas jusqu’à dire que cela ne nous fait rien, mais comme tu nous l’as si souvent répété, il faut savoir lâcher prise, lui dit Léa.
  • Nous n’y sommes pour rien, ajouta Drarion, alors cessons de nous blâmer pour leurs erreurs et tâchons de réparer au mieux ce désastre qu’ils nous ont laissé en héritage, de cette façon nous rentrerons plus vite chez nous.
  • Tu y penses encore ? s’attrista Satine, mais c’est ici chez toi.
  • Non, Satine, chez moi c’est là où j’ai grandi même si ce n’était pas le paradis. Chez moi c’est là où mon cœur choisira d’y faire pousser ses racines, ici je n’ai pas choisi d’y venir et encore moins de vivre tout ça. Mais j’irai jusqu’au bout avec vous, parce que vous êtes et resterez ma seule famille.
  • Je te comprends, Drarion, mais je ne désespère pas de te faire changer d’avis un jour, alors à l’avenir ne m’en veux pas si j’essaie à nouveau de te convaincre
  • Dans tes rêves !

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À propos de F.Saint-Val

auteur les Maîtres de l'Art (édiligne Québec) Faralonn (H.TAG éditions) Walter Bishop 1692 (H.TAG éditions) Walter Bishop 1692 Voir tous les articles par F.Saint-Val

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